Comment parler de politique avec nos enfants
Parler de politique avec un enfant et l'y intéresser est un véritable défi. Le débat politique présent dans les médias est très abstrait et éloigné de ses préoccupations… et nos discussions entre adultes ne sont pas toujours très positives. Alors faut-il renoncer ? Pas question !
Ouvrir l'enfant vers les autres, voilà déjà de la politique !
Parler politique à un enfant consiste en premier lieu à lui expliquer des notions qui ne sont pas d'emblée évidentes. Évitons donc l'abstraction totale ou l'idéalisme, et restons concrets, en allant puiser dans sa vie quotidienne, à la maison ou en famille, là où se posent des questions éminemment politiques !
Par où commencer ? Pour l'immense majorité des grands penseurs ou philosophes – à commencer par Jean-Jacques Rousseau –, il suffit d'amener l'enfant à ne pas se considérer comme le centre du monde, l'ouvrir vers les autres, pour que, de façon naturelle, il devienne un adulte « complet ». En quelque sorte, l'intérêt pour la politique viendra avec l'âge ; il ne faut pas brûler les étapes.
Pourtant, ce processus évident et simple ne semble pas toujours parfaitement fonctionner. La preuve : les jeunes ne s'intéresseraient pas beaucoup aux élections, aux partis politiques, ni au jeu démocratique en général. Ce constat n'est qu'en partie vrai. En effet, d'un autre côté, la mobilisation des jeunes pour de grandes causes, l'antiracisme ou la justice, la lutte contre l'homophobie ou contre la violence à l'école et au collège, est intacte – voire s'accroît. Mais cet intérêt reste abstrait et ne débouche pas souvent sur une « conscience politique ».
Les parents peuvent aider ce « processus naturel » à se (re) mettre en route, et intéresser leurs enfants aux enjeux politiques, au meilleur sens du terme.
Une règle du jeu est déjà un contrat social
La politique passe d'abord par la nécessité de vivre avec les autres, de s'accommoder de leur présence, de régler les différends, de s'engager dans des actions communes. Tout cela, l'enfant le fait lui aussi et à chaque instant. Il articule ses rapports avec les autres (enfants ou adultes) dans le jeu, à l'école, en famille.
Ainsi, dans le jeu, ce sont les enfants qui instituent, choisissent ou acceptent les règles. Le jeu est une initiation à la politique. Accepter les règles du jeu, ne pas les changer en cours de route lorsque la situation du joueur devient défavorable, savoir les faire respecter sans violence verbale ou physique, c'est bel et bien une façon d'apprendre à vivre ensemble. Un enfant qui ne respecte pas les règles du jeu a un comportement « anti-politique ». C'est l'occasion de le lui expliquer, de le replacer dans une vision sociale plutôt que de le laisser s'enfermer dans sa volonté de toute-puissance.
Rousseau, dans L'Émile, revient à plusieurs reprises sur ces règles de la vie en société auxquelles les enfants, comme les adultes, doivent se plier. Si l'enfant cherche à s'y soustraire, Rousseau conseille de ne jamais céder ! L'enfant doit comprendre, et vite, qu'il n'est pas tout-puissant. Le jeu est un moment privilégié pour cela : respecter les règles avec ses camarades de jeu est donc essentiel.
Par ailleurs, chaque citoyen doit, au cours de sa vie, se déterminer pour ou contre ; le choix est l'un des fondements de la politique démocratique. L'enfant, lui aussi, fait des choix tout à fait comparables à ceux des adultes – dans sa sphère à lui, bien entendu.
À l'école
La classe ou la cour de récréation, sont également des hauts lieux de vie politique, à l'échelle de l'enfant. C'est pour cette raison qu'il est positif de s'intéresser à ce que votre enfant vous raconte de sa journée à l'école – et il n'y a pas que les notes ! C'est en discutant avec lui que vous pouvez l'initier, sans qu'il s'en aperçoive, à la politique.
La vie de la classe tourne par exemple souvent autour de la discipline, des règles, de l'injustice perçue ou subie par l'enfant. L'enfant ressent davantage une décision injuste qu'une décision juste et équitable. Il en ressort souvent de l'amertume, qui peut aller jusqu'à un blocage face à la personne jugée comme responsable. Ce type de réaction est une bonne occasion d'aborder la notion d'injustice, qui est une initiation concrète à la nécessité du politique. Les parents peuvent écouter, discuter et trouver avec l'enfant des solutions au problème qu'il se pose et leur pose. C'est en cherchant ensemble une issue positive que l'on initie le mieux son enfant à un comportement politique respectueux des autres et de soi-même.
De même, le cours d'histoire est politique – on n'y parle même que de cela ! Voilà encore une manière d'apprendre ce qu'est la politique. L' instruction civique est davantage une éducation à la vie républicaine qu'un cours de politique proprement dite, mais l'élection des délégués de classe, à partir du collège, est le premier moment d'activité ouvertement politique des jeunes que reconnaissent les Institutions. Et c'est important!
En famille
En famille, la situation est différente. La famille est le lieu de protection maximale de l'enfant.
Pour autant, il existe quelques règles qui relèvent du domaine politique. Ainsi, la famille n'est pas isolée du reste du monde. Si l'enfant y est protégé, cela ne peut signifier que la famille fera tout pour lui, même lorsqu'il sera en faute. Les parents doivent lui faire comprendre que tant qu'il respecte les règles sociales acceptées par tous, la famille sera forcément à ses côtés. Mais s'il transgresse les règles, ses parents lui donneront une punition méritée – même si la justice familiale est souvent plus clémente que celle de la société...
Les premières discussions « politiques » avec de très jeunes enfants seront souvent assez manichéennes. C'est normal ! Le plus souvent, il n'y a de place, chez les tout-petits, que pour le juste et l'injuste, le bien et le mal. Écouter leur opinion et en parler avec eux est un moment d'apprentissage politique. C'est peu à peu, en grandissant, que l'enfant pourra acquérir des notions plus subtiles, au fil des discussions avec ses parents, ses camarades ou d'autres adultes.
La politique avec les enfants, finalement, c'est très simple!
Lorsque nos enfants grandissent, nous allons approfondir et développer, avec eux, la réflexion qu'ils mènent dès la plus petite enfance sur les lois, de la façon la plus concrète qui soit, en se donnant eux-mêmes les règles de leurs propres jeux collectifs.
Nous ferons ainsi de la (très bonne) politique en famille ! Une politique simple et compréhensible mais qui, mine de rien, touche à l'essentiel et ouvre la voie à toutes les options, de l'obéissance sans condition à la rébellion contre l'injustice ! Encore une fois : de la véritable politique.
Philippe Godard dirige plusieurs collections d'ouvrages documentaires pour la jeunesse. Il est notamment l'auteur, pour de jeunes enfants, de La vie des enfants travailleurs pendant la révolution industrielle (De La Martinière Jeunesse) et La politique, tout un programme (Milan). Il intervient régulièrement dans des écoles primaires.
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