Et si on réinventait l’éducation des garçons ?
La parole des femmes se libère, l'éducation des filles progresse, réjouissons-nous ! Mais quid des garçons ? On a beau s'insurger, le sexisme est toujours bien ancré partout, y compris dans l'éducation que nous leur donnons.
À l’école, on a tendance à mettre les filles d’un côté, les garçons de l’autre. On a beau vouloir une éducation non genrée, à partir du moment où ils se retrouvent en collectivité, c’est compliqué... Quels conseils donnez-vous pour dépasser les stéréotypes ?
Il s’agit de dépasser les stéréotypes dans la vie de tous les jours. Les stéréotypes nous suivent, nous accompagnent, se reproduisent même souvent malgré nous. Mais il est vrai qu’en groupe, la référence aux modèles traditionnels de la virilité ou de la féminité a tendance à se renforcer. Une étude promue par Gilette à laquelle j’ai participé sur l’homme sensible montre que les garçons ont d’autant plus tendance à réprimer leurs émotions et leur sensibilité que le groupe les y incite, que les conceptions de la virilité renvoient à des modèles traditionnels. Le masculin ayant été défini par opposition au féminin, cela pousse à des comportements très clivés. Alors même que le féminin se redéfinit dans la lutte pour l’égalité et que le masculin déstabilisé peine à trouver des nouveaux modèles porteurs, non macho. Mais le collectif est aussi source de richesse, à condition de prendre du recul pour réfléchir à la façon dont on peut intervenir. C’est la raison pour laquelle j’écris dans mon livre sur l’éducation des garçons qu’il importe de changer de posture. De se débarrasser des a priori : qu’il s’agisse des filles ou des garçons. Il est possible de favoriser l’ouverture et le dialogue entre filles, garçons, pour lutter contre les stéréotypes. Valoriser dans l’estime de soi et le respect d’autrui, l’image positive des filles pour forcer le respect de l’égalité… Valoriser l’image positive des garçons qui ne sont pas responsables dès leur arrivée au monde de la domination masculine. Des moments de non mixité ne sont pas forcément à bannir, si cela permet à chacun de trouver ses repères. Des études montrent que les filles réussissent mieux en math, en groupe de filles. À l’école, il faut aussi des maîtres masculins, revaloriser la profession d’enseignant, laisser les enseignants innover, pratiquer le théâtre et s’en servir pour aller vers plus d’égalité, de créativité, d’estime de soi, de respect d’autrui… L’école finlandaise constitue un modèle porteur. S’inspirer des nouvelles méthodes pédagogiques est intéressant aussi. Par exemple pour les petits, la théorie de l’esprit, l’intelligence émotionnelle, la théorie de la pleine conscience…
Mon fils a les cheveux mi-longs, il porte des petits bijoux et a des traits assez fins. Il aime aussi bien le foot que la poterie, les trains que les activités manuelles de sa sœur. On le prend souvent pour une fille, aujourd’hui encore à 8 ans. Aujourd’hui il s’en fiche, mais j’ai conscience qu’en grandissant, cela finira par le gêner et qu’il aura sans doute envie de « rentrer dans le moule ». Comment faire pour le laisser développer sa personnalité, sans être influencé par la société ?
Il importe de le rendre capable de savoir être comme il le souhaite face aux machos, de lui permettre de valoriser sa virilité sans être macho. Le soutenir, l’encourager à affirmer ses goûts et à s’épanouir. Il importe bien sûr de lui témoigner (ce que vous faites certainement très bien) : de l’amour, de le valoriser, ce qu’on a parfois tendance à faire moins pour les garçons que pour les filles. Continuer de respecter sa personnalité, ses goûts. Lui communiquer les ressources éducatives nécessaires pour s’affirmer. Valoriser son désir ardent de vivre. Lui transmettre une force psychique intérieure. La capacité à savoir faire des efforts, à se concentrer, à s’appliquer (ce qu’il a l’air de savoir très bien faire). Il pourra ainsi plus tard parvenir à résister aux modèles macho qui ont tendance malheureusement à se renforcer, au nom du principe du retour de balancier, selon lequel plus les normes et les modèles changent, plus les résistances aux changements se renforcent et plus l’envie de s’appuyer sur ce qui a fait ses preuves autrefois augmente, parfois seulement par besoin de réassurance.
J’habite aux UK où les stéréotypes de genre sont très forts. Comment faire pour que cela n’ait pas un impact sur mes 3 filles (notamment via l’école) ?
La société anglaise est certes traversée de traditions, mais l’éducation que vous donnez à vos filles relève de la culture que vous avez reçue et son influence est importante, par transmission, identification. Vos filles sauront très bien faire la part des choses et il y a certainement des opportunités que vous allez trouver en Angleterre que vous n’auriez pas en France. Les modèles égalitaires diffusent désormais pour les filles à grande échelle et le sens de l’histoire est porté par l’émancipation des femmes. Il importe de leur transmettre la confiance en elles, le désir ardent de vivre et les ressources éducatives nécessaires pour y parvenir, ce que vous faites certainement très bien.
Pourquoi n’aborder la problématique que via les garçons ? Comment faire pour renforcer la confiance en elles des filles ?
Pour que les filles changent, il faut aussi que les garçons changent. Or l’éducation des garçons est placée sous le signe du paradoxe : d’une part, la société conteste l’idéal viril, jugé obsolète, et les garçons sont accusés de perpétuer les maux qui accompagnent la domination masculine ; d’autre part les stéréotypes sociaux poussent les garçons à reproduire les comportements machistes. Par ailleurs, au nom de l’égalité, les spécificités individuelles sont gommées. Parallèlement se dessine une éducation qui pourrait être plus libre pour les garçons, portée par des nouvelles conceptions de la virilité. Alors même que les mauvais résultats de certains garçons à l’école, les échecs scolaires, les punitions, les renvois, la violence, l’emprise, la dépendance se sont accrus. La vague #Metoo a contribué à accélérer la prise de conscience du malaise pesant sur l’éducation des garçons. N’oublions pas aussi que l’étymologie de viril est passionnante. En effet, la langue comme l’Histoire nous livre une chose essentielle. Au départ, le mot « viril » prenait un « e ». Il se trouvait largement incarné par Vénus, personnification de veneror, qui désigne - c’est là que c’est intéressant - un désir ardent de vivre. Une force de vie. La racine latine vis, qui a donné « vir », désigne, elle, la vertu, la qualité morale de l’individu adulte. On se trompe donc, par la suite, en qualifiant de viril (le « e » disparaît au passage) un comportement exclusivement réservé aux hommes et qui prend le sens de conquérant, guerrier, et destructeur ! Car, de fait, la virilité n’est pas un machisme agressif, mais une vie ardente ! Il importe donc de réinventer l’éducation des garçons et des filles, afin de surmonter les contradictions et les ambivalences avec d’un côté, la peur que les garçons ne perdent leur virilité ; de l’autre, qu’ils ne deviennent des machos. Or, c’est la force de vie qui prime pour les garçons et les filles. Des filles en faveur de l’égalité et de la valorisation de leur force de vie, qui n’est pas réservée aux garçons contrairement aux représentations traditionnelles et machistes. Il faut que ça change des deux côtés. En ouvrant l’accès à de nouveaux rivages, à de nouvelles valeurs, cette éducation réinventée n’oublie pas l’importance de l’effort, de la ténacité, du courage, du goût du risque pour parvenir à s’affirmer dans la créativité et le respect d’autrui.
On a beau avoir éduqué nos enfants (fille et garçon) de la même façon, de façon non stéréotypée, on se rend compte que l’une a naturellement été attirée par les paillettes, les activités manuelles, la danse, la gymnastique... Tandis que son frère a un intérêt tout particulier pour les jeux de construction (Lego®, Kapla®), les voitures, les avions, les trains... Comment expliquez-vous cela ?
S’ils sont épanouis en choisissant leurs jeux, c’est parfait. Il importe de ne pas se culpabiliser et de ne pas les culpabiliser. Les stéréotypes, les mentalités, la transmission, l’identification, le groupe, l’histoire de la société, tendent et poussent à différencier les jouets, les activités entre fille et garçon, mais ça devrait s’atténuer au fur et à mesure que l’on tendra vers plus d’égalité et je suis optimiste. C’est important de leur permettre de s’affirmer dans ce sens dans l’estime de soi et le respect d’autrui. Ce qui compte aussi c’est de ne pas gommer les différences de sensibilité, de personnalité, sous prétexte d’égalité. Ce que vous parvenez semble-t-il très bien à faire.